Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. Lors d’un rassemblement *Black Lives Matter*, une pancarte dénonce l’exploitation impérialiste du Congo, aujourd’hui RDC, par la Belgique. Alors que partout dans le monde se multiplient les manifestations pour la justice raciale, beaucoup de militants en Belgique espèrent que ce mouvement planétaire changera les attitudes vis-à-vis de l’héritage colonial de Léopold II, dont le règne tyrannique sur « l’État indépendant du Congo » est jugé responsable de la mort de 10 à 15 millions de Congolais. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

Manifestations contre l’héritage colonial belge au Congo

Bruxelles (Belgique), Beni (RDC), Bukavu (RDC), le 10 juin 2020
Lecture : 14 min

Alors que partout dans le monde se multiplient de vastes rassemblements pour la justice raciale, beaucoup de militants en Belgique et en RDC espèrent que ce mouvement planétaire changera les attitudes et les mentalités vis-à-vis de l’héritage colonial de Léopold II, dont le règne tyrannique sur « l’État indépendant du Congo » (aujourd’hui République Démocratique du Congo) est jugé responsable de la mort de 10 à 15 millions de Congolais

La semaine dernière, au moment où l’Europe était confrontée à ses problèmes raciaux dans le sillage du mouvement états-unien Black Lives Matter, des monuments et des statues dédiés au roi Léopold ont été vandalisés dans plusieurs villes belges. Un groupe a escaladé sa statue à Bruxelles et brandi un drapeau congolais aux cris de « Assassin ! » et « Réparations ! ». Le mouvement a pris de l’ampleur avec une pétition signée par 67 000 personnes, exigeant le déboulonnage de toutes les statues de Léopold. Comme on l’a vu aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où les manifestants se sont focalisées sur elles et ont dégradé ou abattu certaines, les statues sont généralement considérées comme des symboles de l’oppression blanche et de l’esclavage.

Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

Le 30 juin, le Congo fêtera le 60e anniversaire de son indépendance, soixante années d’impunité pour les crimes du colonialisme. Certains ont comparé le roi Léopold à Hitler et à Staline et on débat toujours pour savoir s’il est coupable de génocide. De 1885 à 1908, il a gouverné le Congo comme un fief personnel, inaugurant le plus léonin et le plus brutal des régimes coloniaux, qui n’a pris fin qu’en 1960. Léopold, qui « possédait » et asservissait la population congolaise, trafiquait l’ivoire et faisait sévèrement punir tous ceux qui n’atteignaient pas leurs quotas de production de latex. Une des punitions consistait en l’amputation des mains, ainsi que l’a documenté la missionnaire et photographe Alice Seeley Harris. Ses clichés ont poussé Mark Twain à écrire le Soliloque du roi Léopold, pamphlet paru en 1905, six ans après Au cœur des ténèbres, roman inspiré à Joseph Conrad par l’exploitation impérialiste du Congo.

En Belgique, l’histoire de la violence colonialiste n’apparaît guère dans les programmes éducatifs ou dans les discours officiels, et le roi Léopold est généralement célébré pour avoir apporté la civilisation, le bien-être et la culture au Congo. Un rapport publié en 2019 par un groupe d’experts du Conseil de sécurité de l’ONU affirme que la discrimination raciale est « endémique » dans les institutions belges et appelle le pays à affronter son passé colonial « pour s’attaquer aux causes profondes du racisme contemporain vis-à-vis des personnes d’ascendance africaine ».

Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
Bruxelles, Belgique, 6-7 juin 2020. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

L’influence de la Belgique ne s’est pas arrêtée avec l’indépendance du Congo. Son gouvernement a été impliqué dans l’assassinat de Patrice Lumumba, premier dirigeant légalement élu du pays, exécuté le 17 janvier 1961 par des militaires belges et congolais. Son corps et ceux de deux de ses proches ont été sommairement enterrés avant qu’un policier belge les fasse déterrer, démembrer et dissoudre dans un bain d’acide sulfurique, puis livre au feu tout ce qui restait. En 2002, la Belgique a présenté ses excuses pour son rôle dans la mort de Lumumba, exprimant ses « profonds et sincères regrets ».

En 2019, elle a aussi présenté ses excuses pour avoir enlevé des milliers d’enfants métis congolais entre 1959 et 1962. Les lois ségrégationnistes de la colonie belge interdisant les mariages interraciaux, les enfants « illégalement » nés d’une mère congolaise et d’un père belge étaient tout bonnement bannis.

En 2018, la rénovation pour 73 millions de dollars du Musée royal de l’Afrique Centrale (rebaptisé Africa Museum), institution coloniale riche des plus vastes collections au monde d’art africain, visait à redresser des injustices historiques. En fait, elle a conduit le gouvernement congolais à exiger le rapatriement de beaucoup de ses objets anciens.

Dimanche dernier, le slogan le plus populaire parmi les manifestants congolais était « Justice pour le Congo ». Mais quelle justice ? Difficile à dire. À tout le moins, la Belgique doit reconnaître ce qu’elle a fait en Afrique, combattre le racisme institutionnalisé décrit dans le rapport de l’ONU, introduire l’histoire coloniale belge dans ses programmes scolaires, restituer les objets d’art volés et transférer dans des musées les statues et les monuments de cette époque actuellement dans des espaces publics.

Justement, ce mardi à Anvers, une statue du roi Léopold vieille de 150 ans a été transférée au musée Middelheim après avoir été barbouillée de peinture rouge par des manifestants. Pourtant, en écho aux difficultés de la Belgique à affronter son histoire impériale, le maire d’Anvers, président d’un parti flamand de droite mobilisé contre l’immigration, a expliqué que la statue endommagée avait été retirée pour raisons de « sécurité publique » et a laissé entendre qu’elle pourrait être restaurée, à défaut d’être remise en place.

« Abattre des statues est important symboliquement, mais ce n’est que le début », explique au New York Times Joëlle Sambi Nzeba, porte-parole du collectif Belgian Network for Black Lives, ajoutant qu’en tant que Belgo-Congolaise, elle a dû s’informer par elle-même sur les atrocités coloniales. « Ces monuments n’occupent pas seulement les espaces publics, ils occupent aussi les mentalités. »

En tant que Congolais, nous devons nous aussi agir pour améliorer notre situation. Nos décennies de conflits ont été pour beaucoup motivées par la violence et l’animosité intercommunautaires. Le pouvoir et son monopole, politique ou économique, se sont joués le long de fractures ethniques et raciales. Voilà ce qui alimente toujours les haines et les massacres d’aujourd’hui.

Le gouvernement a été incapable de mettre fin aux tueries qui ont cours dans l’est de la RDC et quand des militants protestent contre le manque de sécurité, ils se retrouvent victimes des mêmes violences. Il y a deux semaines, Freddy Kambale, militant de LUCHA (Lutte pour le changement), mouvement de jeunesse non-violent, a été abattu par la police lors d’une manifestation à Beni.

Beni, RDC,mai 2020. Des hommes portent le cercueil de Freddy Kambale, membre du mouvement de jeunesse non-violent LUCHA (Lutte pour le changement), abattu par la police lors d’une manifestation contre l’insécurité dans la ville. Selon Human Rights Watch, la violence policière est endémique en RDC. Le procès de l’auteur présumé des tirs a commencé le 8 juin. © Danny Matsongani pour la Fondation Carmignac
Beni, RDC,mai 2020. Des hommes portent le cercueil de Freddy Kambale, membre du mouvement de jeunesse non-violent LUCHA (Lutte pour le changement), abattu par la police lors d’une manifestation contre l’insécurité dans la ville. Selon Human Rights Watch, la violence policière est endémique en RDC. Le procès de l’auteur présumé des tirs a commencé le 8 juin. © Danny Matsongani pour la Fondation Carmignac
Beni, RDC, mai 2020. Des centaines de personnes participent aux funérailles de Freddy Kambale, membre du mouvement de jeunesse non-violent LUCHA (Lutte pour le changement), abattu par la police lors d’une manifestation contre l’insécurité dans la ville. Selon Human Rights Watch, la violence policière est endémique en RDC. Le procès de l’auteur présumé des tirs a commencé le 8 juin. © Danny Matsongani pour la Fondation Carmignac
Beni, RDC, mai 2020. Des centaines de personnes participent aux funérailles de Freddy Kambale, membre du mouvement de jeunesse non-violent LUCHA (Lutte pour le changement), abattu par la police lors d’une manifestation contre l’insécurité dans la ville. Selon Human Rights Watch, la violence policière est endémique en RDC. Le procès de l’auteur présumé des tirs a commencé le 8 juin. © Danny Matsongani pour la Fondation Carmignac

Ce week-end, la brutalité de la police a aussi entraîné la mort d’un adolescent à Bukavu. Chaque dimanche, les jeunes ont l’habitude d’organiser un « running » dans la ville, pratique sportive interdite par les restrictions liées au coronavirus. Mais pour disperser la foule, les policiers ont utilisé gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles. Selon les médias locaux, Mutambo Bulambo Bienfait, 17 ans, a été tué dans la bousculade qui s’est ensuivie.

La violence policière n’a rien de nouveau au Congo : au moins 27 hommes et adolescents ont été tués en détention en 2019 pendant une campagne de lutte contre la criminalité. Human Rights Watch rapporte qu’ils ont été étranglés, abattus ou qu’ils ont « disparu ». En avril dernier, selon la même organisation, la police a fait un usage excessif de la force meurtrière contre un mouvement politico-religieux, Bundu dia Kongo, tuant 55 personnes et en blessant des dizaines d’autres.

En réclamant justice et responsabilité chez les autres, nous devons examiner et combattre nos propres préjugés et apporter la justice pour tous dans nos propres communautés. La Belgique a dominé le Congo dans le passé, c’est maintenant à nous de dessiner son futur.

Reportages additionnels : Photographies de Danny Matsongani, à Beni (RDC) Vidéo de Justin Mwamba à Bukavu (RDC)

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