Bunia, Ituri, le 21 juillet 2020
Lecture :
15 min
À la fin du mois dernier, je suis tombé sur une femme en train d’accoucher au bord d’une route poussiéreuse à la sortie de Bunia dans la province de l’Ituri, au nord-est de la RDC. En grossesse très avancée, elle avait parcouru à pied près de 30 km depuis son village pour être délivrée dans un centre de santé. Arrivée à 2 km de son but, elle a été forcée de s’arrêter. Le temps que les infirmières soient prévenues et arrivent sur les lieux, l’enfant était né. Mère et bébé ont survécu, mais cette épreuve illustre bien la situation dans ma province natale : les hôpitaux et les centres de soins y sont brûlés ou détruits lors d’attaques concertées.
Quelques jours plus tard, le 4 juillet, je photographiais dans une morgue les corps de onze personnes, dont un responsable provincial, trois policiers et quatre soldats gouvernementaux, mitraillés lors d’une embuscade dans le village de Matete, en territoire de Djugu. Une attaque de plus dans la nouvelle vague de violences qui affecte cette région fertile et riche en or et fait craindre une reprise explosive de l’interminable conflit opposant les ethnies Hema et Lendu.
Souvent présentés de manière simpliste comme une lutte tribale pour l’accès aux ressources naturelles, les affrontements en Ituri sont le résultat de facteurs sociaux complexes, dont l’exploitation par des acteurs locaux et régionaux d’un conflit politique circonscrit et très ancien associant la possession des terres, les opportunités économiques et le pouvoir politique, comme l’analysait en 2004 un rapport de la revue de référence African Affairs.
Alors que la violence a repris son cours depuis 2017, les attaques, pour la plupart attribuées à la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), secte politico-religieuse armée issue du groupe ethnique Lendu, ont causé la mort d’au moins 444 civils et le déplacement de plus de 200000 personnes depuis le début de l’année, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW).
Le mois dernier, un procureur de la Cour internationale de justice a alerté publiquement sur « l’escalade de violences graves » en Ituri et appelé les autorités congolaises à enquêter efficacement sur les meurtres, viols et autres formes de brutalités exercées sur la communauté Hema, dont un récent rapport des Nations unies prévient qu’elles pourraient constituer un « crime contre l’humanité ».
Un autre groupe armé, les Forces démocratiques alliées (ADF), s’est aussi rendu coupable d’abus « massifs, systématiques et extrêmement brutaux » dans les provinces d’Ituri et du Nord-Kivu, selon le rapport remis la semaine dernière par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (UNJHRO). Les ADF, formées en 1996 par des groupes basés dans l’est de l’Ouganda voisin, ont tué 793 personnes entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2020, brûlé des villages entiers, détruit des écoles et des centres de soins et enlevé pour les recruter des hommes, des femmes et des enfants.
Ce ne sont que quelques-uns parmi le million d’innocents ayant fui les violences ces six derniers mois en Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu, rappelle le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Avec plus de 5 millions de personnes chassées par l’insécurité à l’intérieur de leur propre pays, la RDC affiche l’un des plus hauts taux au monde de personnes déplacées, sans compter le million de Congolais qui ont trouvé refuge dans les pays voisins.
Ajoutée à l’entassement et aux mauvaises conditions sanitaires dans les camps, l’insécurité a entretenu la plus grave épidémie de rougeole connue à ce jour : elle a tué plus de 5 700 personnes, pour la plupart des enfants, dans les dix-huit derniers mois. Malgré les inquiétudes sur la propagation du coronavirus, l’Ouganda a ouvert partiellement sa frontière avec l’Ituri pour accueillir plus de 3 000 réfugiés venus de villages attaqués, qui ont été examinés et rassemblés dans un centre d’isolation.
La semaine dernière, des miliciens de la Codeco ont assassiné au moins 25 personnes et brûlé plus d’une douzaine de maisons dans le village Hema de Bunzenzele, selon l’agence Reuters.
Face à ces actions de plus en plus régulières d’agresseurs Lendu, la communauté Hema n’a pas encore eu recours à des représailles systématiques, mais elle ne s’interdit pas de mobiliser sa jeunesse si la situation l’exige, selon le dernier rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG). De jeunes Hema organisés en groupes d’auto-défense ont commencé à dresser des barrages routiers en Ituri, signes précurseurs d’une possible confrontation ethnique.
Human Rights Watch appelle le gouvernement de la RDC à s’engager dans une solution à long terme, en enquêtant sur tous ces abus et en poursuivant les responsables. De son côté, l’ICG appelle Kinshasa à négocier la reddition des milices Lendu dans le cadre d’un accord général entre les communautés ethniques, ajoutant qu’un sommet rassemblant la RDC et ses voisins – Angola, Rwanda et Ouganda – pourrait prendre en compte les dimensions régionales du conflit.
En attendant, les populations de l’Ituri patientent et les massacres continuent.