Nord-est de l’Ituri, RDC, février 2020. Un mannequin de soldat congolais dans un champ près du village de Tche. Du fait de la faible présence des forces gouvernementales dans la région, les villageois issus de la communauté Hema ont installé cet épouvantail dans l’espoir d’éloigner les miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse armée issue du groupe ethnique Lendu. Dans cette province riche en or et en pétrole, les conflits entre Lendu, pour la plupart agriculteurs, et Hema, majoritairement éleveurs et commerçants, ont déjà une longue histoire : ils ont fait des dizaines de milliers de morts entre 1999 et 2003. Depuis le début de l’année, les attaques de milices ont tué 444 civils et déplacé plus de 200 000 personnes, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui cite des sources onusiennes. En janvier 2020, un rapport de l’ONU a conclu que ces faits pouvaient constituer un « crime contre l’humanité ». Le même mois, l’armée a poursuivi l’offensive lancée en octobre précédent contre les milices opérant en Ituri et a annoncé fin mars la mort du chef de la Codeco, Justin Ngudjolo. Mais le groupe, scindé en différentes factions, continue à assassiner des civils dans la province, selon HRW, qui ajoute que les forces de sécurité chargées de le combattre se sont livrées elles aussi à de graves abus, notamment des exécutions extrajudiciaires. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

Les tueries reprennent dans l’Ituri

Bunia, Ituri, le 21 juillet 2020
Lecture : 15 min

La province est gangrenée par une violence endémique depuis des décennies : près de 60 000 personnes ont été tuées entre 1999 et 2003 dans les affrontements entre Hema, des bergers pour la plupart, et Lendu, des fermiers sédentaires.

À la fin du mois dernier, je suis tombé sur une femme en train d’accoucher au bord d’une route poussiéreuse à la sortie de Bunia dans la province de l’Ituri, au nord-est de la RDC. En grossesse très avancée, elle avait parcouru à pied près de 30 km depuis son village pour être délivrée dans un centre de santé. Arrivée à 2 km de son but, elle a été forcée de s’arrêter. Le temps que les infirmières soient prévenues et arrivent sur les lieux, l’enfant était né. Mère et bébé ont survécu, mais cette épreuve illustre bien la situation dans ma province natale : les hôpitaux et les centres de soins y sont brûlés ou détruits lors d’attaques concertées.

Quelques jours plus tard, le 4 juillet, je photographiais dans une morgue les corps de onze personnes, dont un responsable provincial, trois policiers et quatre soldats gouvernementaux, mitraillés lors d’une embuscade dans le village de Matete, en territoire de Djugu. Une attaque de plus dans la nouvelle vague de violences qui affecte cette région fertile et riche en or et fait craindre une reprise explosive de l’interminable conflit opposant les ethnies Hema et Lendu.

Juin 2020. Une femme a accouché au bord de la route près de Djugu, après avoir parcouru près de 30 km à pied depuis son village pour rejoindre le centre de soins le plus proche. Elle s’est écroulée à 2 km de la clinique, et les infirmières prévenues sont arrivées après la naissance. Plusieurs hôpitaux et centres de santé de la région ont été détruits et brûlés pendant le conflit opposant les groupes ethniques Hema et Lendu. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Juin 2020. Une femme a accouché au bord de la route près de Djugu, après avoir parcouru près de 30 km à pied depuis son village pour rejoindre le centre de soins le plus proche. Elle s’est écroulée à 2 km de la clinique, et les infirmières prévenues sont arrivées après la naissance. Plusieurs hôpitaux et centres de santé de la région ont été détruits et brûlés pendant le conflit opposant les groupes ethniques Hema et Lendu. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Bunia, RDC, juin 2020. Les corps de trois policiers et de quatre soldats congolais reposent à la morgue du chef-lieu de l’Ituri, après que 11 personnes, dont un responsable provincial et des civils, ont été victimes d’une embuscade dans le village de Matete, dans le territoire de Djugu. C’est la dernière attaque en date de membres de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse issue de l’ethnie Lendu, en guerre contre ses rivaux de la communauté Hema. La Codeco et d’autres milices Lendu sont accusées par le Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU de mettre en œuvre « une stratégie de massacre des communautés locales — essentiellement Hema, mais aussi Alur — depuis 2017 » dans le but de contrôler les ressources naturelles de la région. Depuis le début de l’année, les attaques de milices ont causé la mort de 444 civils et le déplacement de plus de 200 00 personnes, selon l’ONG Human Rights Watch, qui cite des sources onusiennes. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Bunia, RDC, juin 2020. Les corps de trois policiers et de quatre soldats congolais reposent à la morgue du chef-lieu de l’Ituri, après que 11 personnes, dont un responsable provincial et des civils, ont été victimes d’une embuscade dans le village de Matete, dans le territoire de Djugu. C’est la dernière attaque en date de membres de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse issue de l’ethnie Lendu, en guerre contre ses rivaux de la communauté Hema. La Codeco et d’autres milices Lendu sont accusées par le Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU de mettre en œuvre « une stratégie de massacre des communautés locales — essentiellement Hema, mais aussi Alur — depuis 2017 » dans le but de contrôler les ressources naturelles de la région. Depuis le début de l’année, les attaques de milices ont causé la mort de 444 civils et le déplacement de plus de 200 00 personnes, selon l’ONG Human Rights Watch, qui cite des sources onusiennes. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

Souvent présentés de manière simpliste comme une lutte tribale pour l’accès aux ressources naturelles, les affrontements en Ituri sont le résultat de facteurs sociaux complexes, dont l’exploitation par des acteurs locaux et régionaux d’un conflit politique circonscrit et très ancien associant la possession des terres, les opportunités économiques et le pouvoir politique, comme l’analysait en 2004 un rapport de la revue de référence African Affairs.

Alors que la violence a repris son cours depuis 2017, les attaques, pour la plupart attribuées à la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), secte politico-religieuse armée issue du groupe ethnique Lendu, ont causé la mort d’au moins 444 civils et le déplacement de plus de 200000 personnes depuis le début de l’année, selon l’ONG Human Rights Watch (HRW).

Le mois dernier, un procureur de la Cour internationale de justice a alerté publiquement sur « l’escalade de violences graves » en Ituri et appelé les autorités congolaises à enquêter efficacement sur les meurtres, viols et autres formes de brutalités exercées sur la communauté Hema, dont un récent rapport des Nations unies prévient qu’elles pourraient constituer un « crime contre l’humanité ».

Un autre groupe armé, les Forces démocratiques alliées (ADF), s’est aussi rendu coupable d’abus « massifs, systématiques et extrêmement brutaux » dans les provinces d’Ituri et du Nord-Kivu, selon le rapport remis la semaine dernière par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (UNJHRO). Les ADF, formées en 1996 par des groupes basés dans l’est de l’Ouganda voisin, ont tué 793 personnes entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2020, brûlé des villages entiers, détruit des écoles et des centres de soins et enlevé pour les recruter des hommes, des femmes et des enfants.

Nord-est de l’Ituri, RDC, avril 2020. À 15 km au nord de Bunia, un camion rempli de soldats gouvernementaux en route vers la ligne de front croise des villageois en fuite, lors d’affrontements avec des membres de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse issue du groupe ethnique Lema. Des miliciens ont assassiné dans leur sommeil 22 personnes du village de Koli, toutes d’origine Hema, selon le témoignage de responsables de la ville de Djugu © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Nord-est de l’Ituri, RDC, avril 2020. À 15 km au nord de Bunia, un camion rempli de soldats gouvernementaux en route vers la ligne de front croise des villageois en fuite, lors d’affrontements avec des membres de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse issue du groupe ethnique Lema. Des miliciens ont assassiné dans leur sommeil 22 personnes du village de Koli, toutes d’origine Hema, selon le témoignage de responsables de la ville de Djugu © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Avril 2020. Des villageois fuient vers Bunia, chef-lieu de la province, après que des miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse armée, ont assassiné 22 membres de la communauté Hema dans le village de Koli. Les violences continuent de faire fuir des dizaines de milliers de Congolais dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, où les opérations militaires, les attaques meurtrières et les tensions communautaires se multiplient. Dans le seul Ituri, le niveau de violence contre les civils a poussé à l’exode environ 200 000 personnes. Avec plus de 5 millions de personnes déplacées, le Congo dépasse désormais 10 % du total mondial, selon un rapport pubié en 2019 par l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC). © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Avril 2020. Des villageois fuient vers Bunia, chef-lieu de la province, après que des miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), une secte politico-religieuse armée, ont assassiné 22 membres de la communauté Hema dans le village de Koli. Les violences continuent de faire fuir des dizaines de milliers de Congolais dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, où les opérations militaires, les attaques meurtrières et les tensions communautaires se multiplient. Dans le seul Ituri, le niveau de violence contre les civils a poussé à l’exode environ 200 000 personnes. Avec plus de 5 millions de personnes déplacées, le Congo dépasse désormais 10 % du total mondial, selon un rapport pubié en 2019 par l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC). © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Blukwa, RDC, juin 2019. Des soldats de la paix de l’ONU aident des civils à évacuer ce village de l’Ituri, dans le territoire de Djugu, où une série de massacres a causé la mort de 161 personnes. © Archives de Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Blukwa, RDC, juin 2019. Des soldats de la paix de l’ONU aident des civils à évacuer ce village de l’Ituri, dans le territoire de Djugu, où une série de massacres a causé la mort de 161 personnes. © Archives de Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Drodro, RDC, juin 2019. Le gouverneur de la province de l’Ituri, Jean Bamasina Saïdi (à droite), harangue une foule de personnes déplacées, après qu’une série de massacres a fait 161 morts dans le territoire de Djugu. Photos et textes © Archives de Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Drodro, RDC, juin 2019. Le gouverneur de la province de l’Ituri, Jean Bamasina Saïdi (à droite), harangue une foule de personnes déplacées, après qu’une série de massacres a fait 161 morts dans le territoire de Djugu. Photos et textes © Archives de Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

Ce ne sont que quelques-uns parmi le million d’innocents ayant fui les violences ces six derniers mois en Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu, rappelle le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Avec plus de 5 millions de personnes chassées par l’insécurité à l’intérieur de leur propre pays, la RDC affiche l’un des plus hauts taux au monde de personnes déplacées, sans compter le million de Congolais qui ont trouvé refuge dans les pays voisins.

Ajoutée à l’entassement et aux mauvaises conditions sanitaires dans les camps, l’insécurité a entretenu la plus grave épidémie de rougeole connue à ce jour : elle a tué plus de 5 700 personnes, pour la plupart des enfants, dans les dix-huit derniers mois. Malgré les inquiétudes sur la propagation du coronavirus, l’Ouganda a ouvert partiellement sa frontière avec l’Ituri pour accueillir plus de 3 000 réfugiés venus de villages attaqués, qui ont été examinés et rassemblés dans un centre d’isolation.

Bambissa, RDC, février 2020. Des orpailleurs extraient l’or des sédiments alluviaux de la rivière Nizi. La plupart des massacres en Ituri ont leur origine dans la compétition pour les mines d’or, selon l’ONG Human Rights Watch. Les mines locales sont une source de financement pour les ex-rebelles, les politiciens et les hauts gradés congolais faisant la contrebande de l’or dans les pays voisins, l’Ouganda et le Sud-Soudan. Le minerai est extrait par des coopératives artisanales utilisant des outils et des techniques rudimentaires. La plupart d’entre elles, à l’instar des compagnies minières, ne rapportent pas leurs chiffres de production et de grandes quantités de minerais sont ainsi mises illégalement sur le marché, ce qui crée une « fraude massive », écrit l’agence Reuters. Mais les mesures prises pour endiguer l’épidémie de coronavirus ont rompu les chaînes d’approvisionnement dont dépendent les orpailleurs et asséché leurs sources financières, causant un effondrement des prix locaux de l’or, jusqu’à 40 % du cours mondial. Dans une seule zone de l’Ituri, 70 des 85 négoces en or ont fermé faute d’acheteurs, note l’ONG canadienne Impact, spécialisée dans les ressources naturelles. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Bambissa, RDC, février 2020. Des orpailleurs extraient l’or des sédiments alluviaux de la rivière Nizi. La plupart des massacres en Ituri ont leur origine dans la compétition pour les mines d’or, selon l’ONG Human Rights Watch. Les mines locales sont une source de financement pour les ex-rebelles, les politiciens et les hauts gradés congolais faisant la contrebande de l’or dans les pays voisins, l’Ouganda et le Sud-Soudan. Le minerai est extrait par des coopératives artisanales utilisant des outils et des techniques rudimentaires. La plupart d’entre elles, à l’instar des compagnies minières, ne rapportent pas leurs chiffres de production et de grandes quantités de minerais sont ainsi mises illégalement sur le marché, ce qui crée une « fraude massive », écrit l’agence Reuters. Mais les mesures prises pour endiguer l’épidémie de coronavirus ont rompu les chaînes d’approvisionnement dont dépendent les orpailleurs et asséché leurs sources financières, causant un effondrement des prix locaux de l’or, jusqu’à 40 % du cours mondial. Dans une seule zone de l’Ituri, 70 des 85 négoces en or ont fermé faute d’acheteurs, note l’ONG canadienne Impact, spécialisée dans les ressources naturelles. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Tche, RDC, février 2020. Le chef du village pose dans son centre de santé détruit. Une série de massacres dans des villages du territoire Djugu, dont Tche, a causé la mort de 161 personnes en juin 2019, et les tueries se poursuivent aujourd’hui. Plusieurs hôpitaux et centres de santé de la région ont été détruits et brûlés pendant le conflit opposant les groupes ethniques Hema et Lendu. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Tche, RDC, février 2020. Le chef du village pose dans son centre de santé détruit. Une série de massacres dans des villages du territoire Djugu, dont Tche, a causé la mort de 161 personnes en juin 2019, et les tueries se poursuivent aujourd’hui. Plusieurs hôpitaux et centres de santé de la région ont été détruits et brûlés pendant le conflit opposant les groupes ethniques Hema et Lendu. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

La semaine dernière, des miliciens de la Codeco ont assassiné au moins 25 personnes et brûlé plus d’une douzaine de maisons dans le village Hema de Bunzenzele, selon l’agence Reuters.

Face à ces actions de plus en plus régulières d’agresseurs Lendu, la communauté Hema n’a pas encore eu recours à des représailles systématiques, mais elle ne s’interdit pas de mobiliser sa jeunesse si la situation l’exige, selon le dernier rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG). De jeunes Hema organisés en groupes d’auto-défense ont commencé à dresser des barrages routiers en Ituri, signes précurseurs d’une possible confrontation ethnique.

Human Rights Watch appelle le gouvernement de la RDC à s’engager dans une solution à long terme, en enquêtant sur tous ces abus et en poursuivant les responsables. De son côté, l’ICG appelle Kinshasa à négocier la reddition des milices Lendu dans le cadre d’un accord général entre les communautés ethniques, ajoutant qu’un sommet rassemblant la RDC et ses voisins – Angola, Rwanda et Ouganda – pourrait prendre en compte les dimensions régionales du conflit.

En attendant, les populations de l’Ituri patientent et les massacres continuent.

Tche, RDC, février 2020. Un soldat congolais monte la garde. Une série de massacres dans le territoire de Djugu a causé la mort de 161 personnes au début de juin 2019, et les tueries se poursuivent aujourd’hui. Les forces de sécurité congolaises luttant contre les milices locales ont aussi commis de graves abus, y compris des exécutions extra-judiciaires, rapporte l’ONG Human Rights Watch. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac
Tche, RDC, février 2020. Un soldat congolais monte la garde. Une série de massacres dans le territoire de Djugu a causé la mort de 161 personnes au début de juin 2019, et les tueries se poursuivent aujourd’hui. Les forces de sécurité congolaises luttant contre les milices locales ont aussi commis de graves abus, y compris des exécutions extra-judiciaires, rapporte l’ONG Human Rights Watch. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

Les reportages