Goma, RDC, juin 2020. Un homme se repose sur une rangée de jerricans en attendant son tour de les remplir à un point d’eau communal. Les habitants de Goma peuvent faire la queue pour l’eau pendant des heures, souvent de très bon matin. © Moses Sawasawa pour la Fondation Carmignac

Coronavirus et maux de l’eau

Goma, le 20 juin 2020
Lecture : 11 min

Le portail bleu rouillé cède sous la pression d’une foule de femmes et d’enfants portant de vieux jerricans jaunes, malgré les efforts d’un homme en veste rouge pour contenir la ruée de tous ces gens essayant désespérément de trouver de l’eau pour leur famille. La scène, capturée sur un téléphone portable par des militants de LUCHA, mouvement de jeunes citoyens non-violents, a été diffusée le 3 juin alors que la pénurie d’eau atteignait des niveaux alarmants à Goma, en plein confinement lié au coronavirus.
Vidéo réalisée par les activistes de LUCHA, 3 juin 2020. Courtesy LUCHA

Un nouvel épisode dramatique dans la quête quotidienne d’une eau saine dans le chef-lieu du Nord-Kivu, qui s’étale sur les rives volcaniques et accidentées du lac Kivu, l’une des plus grandes étendues d’eau douce d’Afrique, longue de 90 km et large de 50 km.

La ville, haut lieu du deuxième centre au monde pour les opérations de maintien de la paix des Nations unies et quartier-général de centaines d’organisations d’aide humanitaire, ne dispose quasiment pas d’eau courante. Sur le spectaculaire front de lac, beaucoup d’hôtels de luxe sont ravitaillés par des pompes ou des camions citernes. Mais pour boire, se laver et cuisiner, la majorité des deux millions de Gomatraciens puisent directement dans le lac ou achètent leur eau à des marchands qui la vendent dix fois plus cher que Regideso, service public chargé d’approvisionner les zones urbaines en RDC.

Pénurie en eau à Goma (RDC), 2020. Vidéo de Moses Sawasawa et Charly Kasereka

Chaque jour, le plus souvent dans l’obscurité qui précède l’aube, d’innombrables femmes et enfants de Goma se chargent de vieux jerricans jaunes et vont chercher de l’eau, une corvée qui peut prendre des heures, voire des jours. Des organismes caritatifs distribuent aussi de l’eau par camions citernes, mais en quantités insuffisantes, et l’eau tirée du lac ou d’autres sources contaminées est souvent à l’origine d’épidémies de choléra ou d’autres maladies. En outre, le fond du Kivu recèle d’immenses concentrations de méthane et de dioxyde de carbone qui menacent les riverains d’asphyxie et de mort. Et comme la RDC est confrontée à deux virus, le SARS-CoV-2 et Ebola, le manque d’eau, d’hygiène et d’assainissement fait courir davantage de risques encore à des millions de personnes.

En mars, quand le gouvernement a déclaré l’état d’urgence et le confinement du pays, les autorités ont promis l’eau et l’électricité gratuites pour tous, mais vu le lamentable état des infrastructures et le faible nombre de Congolais raccordés à ces services publics, la promesse n’a eu aucun sens pour la plupart. Au début de ce mois, la rareté de l’eau salubre à Goma a même créé d’immenses attroupements et bousculades aux points de distribution d’eau et suscité une campagne de protestation de LUCHA.

« Tous les jours, on nous dit que pour lutter contre le coronavirus, nous devons nous laver les mains, mais on ne nous donne pas d’eau », s’indigne Nsaraka Bin Nkartumwa devant les bureaux de Regideso où lui et ses camarades se sont rassemblés pour dénoncer ses carences et exiger des améliorations.

En 2015, le parlement congolais a voté une loi reconnaissant l’accès à l’eau et aux installations sanitaires comme un droit fondamental garanti par la Constitution. La même loi stipulait aussi que ces services « ne sont pas gratuits » et transférait au niveau provincial la responsabilité de l’entretien des infrastructures.

Les malheurs de l’eau à Goma sont un concentré des maux du pays tout entier. La RDC est la région la plus riche en eau du continent africain, avec plus de la moitié de ses réserves, mais 75 % des 80 millions de Congolais n’ont accès ni à l’eau potable ni à l’assainissement. Avec la mauvaise hygiène, c’est l’un des cinq principaux facteurs de décès et d’infirmité dans le pays. En outre, les longues heures passées à attendre ou à transporter l’eau empiètent sur le temps pour gagner sa vie ou aller à l’école.

Lors de la collecte de l’eau, les femmes et filles congolaises s’exposent également à des violences physiques, sexuelles, morales et psychologiques, dénonce l’Unicef.

« On se lève à 9 h du soir, à minuit ou à 2 h du matin, on dort pas, » témoigne Maman Gentille, attendant dans le noir près du point d’eau, enveloppée dans une épaisse couverture. « Il y a des gens qui attendent deux jours sans eau. Et pour nous les femmes, c’est dangereux parce qu’on peut être violées par des bandits et abandonnées par nos maris. »

Déjà délabré et fuyant de toutes parts, le réseau d’eau de Goma a été endommagé un peu plus encore en 2002 par l’éruption du Nyiragongo voisin, qui a déversé des rivières de lave dans la ville et enterré des quartiers entiers. Depuis lors, divers projets d’aménagement hydraulique ont été lancés, mais vu le manque d’infrastructures et de fonds régionaux, 99 % des financements du secteur sont assurés par des donateurs étrangers.

« Pour Regideso, la solution serait d’approvisionner ceux qui en ont les moyens, » explique Aziza Bintu, responsable d’un point d’eau communal. « Les autres peuvent toujours se fournir aux points d’eau. »

Faute de moyens et de bonne gouvernance, le pays compte sur l’aide extérieure : dans le cadre de son Urban Water Supply Project, la Banque mondiale a investi 190 millions de dollars (environ 170 millions d’euros) pour restructurer Regideso et améliorer ses performances. De même, l’ONG Mercy Corps met en œuvre un programme septennal financé par le Royaume-Uni pour améliorer l’accès d’un million d’habitants de Goma et de Bukavu, au sud du lac Kivu, à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement.

Pourtant, les militants de Lucha constatent que malgré l’importance des financements, ces projets produisent peu de résultats concrets. Beaucoup de Congolais se méfient des organismes d’aide étrangers et de leurs partenaires locaux, qu’ils considèrent comme des profiteurs et des corrompus. Opinion confortée la semaine dernière par la publication d’un rapport accablant sur la corruption et la fraude dans le secteur de l’aide humanitaire en RDC : Mercy Corps indique ainsi avoir perdu 639 000 $ (environ 570 000 €) dans une de ces fraudes.

Et pendant que l’argent s’évapore, les habitants de Goma continuent à se battre pour leurs besoins essentiels. « Ils disent que l’eau c’est la vie, mais on n’y a pas accès, » répète Maman Gentille, qui attend toujours son tour dans le noir. « Oui, elle est gratuite, mais à quoi ça sert si on n’en a pas ? »

Vidéo et textes de Moses Sawasawa et Charly Kasereka. Photos de Moses Sawasawa, Arlette Bashizi et Guerchom Ndebo.

Les reportages