Photos extraites du projet "La Conscience noire" de Pamela Tulizo, qui enquête sur les femmes africaines et leurs rapports à la beauté et à l’estime de soi dans un monde postcolonial. © Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

Décoloniser la beauté

Kinshasa, le 4 mai 2020
Lecture : 4 min

Ces images sont tirées de mon projet "La Conscience noire". Cette enquête sur notre conception des femmes et de la beauté africaines m’a permis d’explorer le territoire de notre estime personnelle et de notre confiance en soi.

En RDC — comme dans tant d’autres pays, surtout africains — les femmes à la peau claire sont davantage « valorisées » et favorisées par la société que celles qui ont la peau plus sombre. Ce colorisme et cette discrimination des peaux les plus noires pousse les femmes à utiliser de dangereux produits éclaircissants pour améliorer leur situation sociale et économique. Le processus de blanchiment passe par des savons, des crèmes, des pilules et des injections visant à réduire la concentration de mélanine dans la peau.

© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

L’éclaircissement épidermique, qui remonte au XVIe siècle, est devenu une industrie cosmétique lucrative, dont le chiffre d’affaires atteindra 24 milliards de dollars en 2027, à en croire le magazine Vogue. Ce malgré les mises en garde de l’OMS, selon laquelle il peut causer des lésions hépatiques et rénales, des psychoses, des atteintes cérébrales chez les fétus et des cancers. Des pays aussi variés que le Ghana, le Japon, l’Australie et le Rwanda ont interdit les agents blanchissants, mais l’OMS estime que 40% des Africaines continuent à les utiliser.

Mon travail dénonce donc spécifiquement le blanchiment de la peau, et plus généralement le colorisme. J’exagère la noirceur de la peau du modèle pour en montrer la beauté. Mes modèles essaient en même temps de sortir de cet épiderme parce que leur négritude est dévalorisée et rejetée. Dans chaque cadre, une partie du corps est intentionnellement coupée. Elle symbolise le manque.

Je publie ici pour la première fois ces images, réalisées l’année dernière au Market Photo Workshop fondé par David Goldblatt à Johannesburg. Ce qui m’a frappée en Afrique du Sud, c’est la confiance des femmes en leur beauté naturelle. Elle m’a d’ailleurs inspiré l’idée du projet, que je poursuis aujourd’hui en résidence artistique à Bruxelles. La Belgique nous ayant colonisés, y vivre me donne beaucoup à penser quant à notre identité congolaise.

Mon projet traite d’un aspect particulier de notre psychologie postcoloniale collective. Un certain état d’esprit affecte la blancheur ou la pâleur du signe plus : plus d’intelligence, de beauté, d’évolution. Une sorte de complexe d’infériorité accentué par la télévision et les affiches, où les mannequins à peau claire et cheveux raides respirent le bonheur et la confiance.

© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac
© Pamela Tulizo pour la Fondation Carmignac

Mes images en sont l’exact opposé. Elles dénoncent la pression sociale qui nous pousse à éclaircir notre peau, à porter des perruques ou des tresses, à lisser nos cheveux. Je l’ai fait moi-même en croyant m’embellir. Puis j’ai compris que je me colonisais.

Les modèles dans les images présentées ici ont la tête rasée. Je voulais les montrer entièrement au naturel, sans perruques ni produits capillaires, comme à la naissance. Même leur maquillage est inhabituel : en exagérant les lèvres et les traits du visage, il va à l’encontre des canons traditionnels de la beauté.

Je milite pour un retour à l’authenticité et à la nature. La peau éclaircie chimiquement, les perruques et les tresses n’ont rien à voir avec la beauté. La beauté consiste à nous affirmer, à être naturelles et bien dans notre peau.

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