© Guylain Balume

Attaque meurtrière dans le parc des Virunga

Parc National des Virunga, le 8 mai 2020
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Le 24 avril 2020, le vidéojournaliste Guylain Balume a assisté à l’assaut d’une milice armée qui a fait 17 morts, dont 13 gardes forestiers du parc des Virunga. L’incident est le plus meurtrier jamais enregistré dans l’histoire de ce site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Voici son témoignage.

Le matin de l’attaque, de retour vers Goma après un reportage à Rutshuru, je me suis arrêté pour acheter des fruits à des vendeurs ambulants.

Alors que j’emballais mes oranges, une camionnette est passée, remplie de gardes forestiers du parc des Virunga. J’ai sauté dans ma voiture et je les ai suivis jusqu’à Bivunga, à quelques minutes de là. Des villageois nous ont arrêtés pour nous avertir qu’une attaque était en cours à quelques centaines de mètres. Entendant des bruits de fusillade, j’ai empoigné ma caméra et commencé à filmer tout en essayant de comprendre ce qui se passait. Au téléphone, un officier de l’armée m’a informé que des gardes et des civils avaient été tués dans une embuscade.

Apparemment, la camionnette qui m’avait dépassé retournait au bureau principal du parc et se portait avec un autre véhicule au secours d’une voiture de civils attaquée par des hommes armés. Mais les gardes avaient été également pris sous le feu et treize d’entre eux tués, en plus de quatre civils. Trois gardes étaient grièvement blessés, dont un dans un état critique, selon les autorités du parc. Dans la vidéo, on peut voir la camionnette transportant les blessés à l’hôpital.

L’attaque était attribuée à 60 combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle qui combat le gouvernement congolais et les milices concurrentes depuis des décennies. Dans une déclaration publique, les FDLR ont nié toute implication.

L’incident est le plus meurtrier jamais enregistré dans l’histoire du parc des Virunga, un site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Enfoui sous les pentes touffues des volcans d’Afrique centrale, c’est le plus ancien parc national et la plus grande réserve de forêt tropicale humide du continent, et ses 20 000 km2 abritent plus de la moitié de la population mondiale de gorilles de montagne. Le parc est le théâtre de violences régulières mais continue à s’appuyer sur le tourisme pour financer ses activités de conservation. En mars, il a été fermé au public après que des experts ont averti que les gorilles pouvaient être vulnérables au Covid-19, ce qui a eu un impact majeur sur ses finances.

« L’horloge tourne et il nous reste environ deux mois pour continuer à assurer les fonctions essentielles de la protection du parc, a déclaré à la BBC son directeur Emmanuel de Merode juste après l’embuscade. En ce moment, nous faisons face à l’une des plus graves menaces de notre histoire : l’avenir du parc tient à un fil depuis que l’industrie touristique tout entière s’est arrêtée. Ajoutez à cela une mobilité réduite et une économie gravement affectée, et les milices ultra-violentes saisissent l’occasion pour attaquer le parc, et plus largement la communauté environnante.«

Ces milices armées sont attirées par les ressources naturelles du parc, dont le charbon, une des principales sources de revenus de la région. Selon M. de Merode, les profits de l’extraction illégale ont été estimés à 170 millions de dollars en 2017.

Après la fin des combats, j’ai pu me rendre en voiture sur le lieu de l’embuscade. Une roquette avait frappé la Jeep des civils, dont les corps carbonisés jonchaient la route. La camionnette du parc des Virunga avait été mitraillée, pneus à plat et portes béantes. Les corps des gardes gisaient au sol ou pendaient hors du véhicule. Apparemment, ils avaient été abattus en essayant d’en sortir.

J’ai essayé de filmer la scène, mais des gardes survivants se sont fâchés et un colonel de l’armée en colère m’a menacé. Continuer aurait été mettre ma vie en danger. À la place, j’ai regardé M. de Merode et ses hommes emporter les morts dans des housses.

Un peu plus tard, j’ai découvert que je connaissais une des victimes civiles de ce jour-là. Dorcas Aboubacar avait 25 ans, elle habitait dans ma rue et je connaissais bien sa mère. J’ai assisté à ses funérailles, mais il n’y avait pas grand-chose à enterrer, juste quelques cendres.

Cette histoire a été un choc. Ce matin-là, j’avais hâte de rentrer chez moi, mais je me suis arrêté pour acheter des oranges et des gardes forestiers m’ont dépassé. Si j’avais continué à rouler, j’aurais pu être tué comme les quatre victimes civiles.

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