Goma, le 2 juin 2021
Lecture :
16 min
Dans la rue passait un flot ininterrompu de gens chargés de leurs biens. En quelques minutes, la nouvelle s’était répandue : le Nyiragongo faisait éruption pour la première fois depuis presque vingt ans. Et une rivière de lave coulait en direction du quartier de Guerchom. Descendu quatre à quatre dans son appartement, il a attrapé son matériel de photo et il est sorti en courant. Réalisant soudain qu’il avait oublié sa carte-mémoire, il a fait demi-tour sans ralentir, manœuvre qu’il a réitérée deux fois pour récupérer une dragonne d’appareil photo, puis un sac d’ordinateur : « À cause du stress, je n’avais pas les idées claires, mais quand j’ai commencé à shooter, j’étais calme et concentré. Ça confirme que la photo est le métier qu’il me faut. »
De l’autre côté de la ville, Arlette Bashizi et Moses Sawasawa rentraient en bus d’un reportage en cours quand ils ont vu le ciel rougeoyant. Elle a aussitôt couru chez elle pour veiller sur sa famille tout en conseillant à Moses de faire de même.
Quant à moi (Finbarr O' Reilly, NDLR), j’étais assis dans un restaurant au bord du lac Kivu quand quelqu’un est entré pour annoncer la nouvelle de l’éruption. En repos ce soir-là, j’avais laissé mon matériel à l’autre bout de la ville et je n’avais avec moi qu’un appareil numérique sans miroir. J’ai sauté sur un taxi-moto pour retrouver Ndebo dans le centre-ville, d’où partaient dans toutes les directions des milliers d’habitants déboussolés, traînant avec eux des sacs débordant d’objets, des matelas, des animaux et des enfants terrorisés. Rappelons que l’éruption de 2002 avait détruit un tiers de la ville, tué plus de 200 personnes et fait 100 000 sans-abris…
Mes deux collègues m’ayant rapidement rejoint, nous avons documenté ensemble la panique et le chaos de l’exode. Assaillis d’informations contradictoires, les gens suppliaient qu’on leur dise quelle direction prendre : vers l’est et la frontière du Rwanda, vers l’ouest et les hauteurs autour de la ville de Sake ?
Le front de lave incandescente du Nyiragongo, l’un des volcans les plus actifs et les plus dangereux du monde, s’est arrêté juste avant le centre-ville et l’aéroport international de Goma, mais il a détruit 17 villages, tué au moins 32 personnes et fait 20 000 sans-abris. Beaucoup de gens sont retournés en ville le lendemain, une fois la coulée stoppée, mais des centaines de répliques dans les jours suivants ont mis leurs nerfs à vif. La panique s’est à nouveau déclenchée cinq jours plus tard à minuit, heure où le gouvernement a décrété l’évacuation générale par crainte d’une nouvelle éruption. Ou pire, d’une éruption limnique : le lac Kivu abrite d’immenses réserves de dioxyde de carbone et de méthane qui, si elles étaient relâchées par un tremblement de terre ou un contact avec la lave fondue, exploseraient ou libéreraient des nuages empoisonnés tuant tous les êtres vivants à des dizaines de kilomètres à la ronde. Cette fois-ci, près d’un demi-million de personnes ont fui vers le Rwanda et vers Sake, à 20 km, où quelques installations permettent d’accueillir les réfugiés. Quelque 1 361 enfants ayant été séparés de leurs parents, la Croix-Rouge et l’Unicef s’emploient à réunir les familles.
Au total, plus de 232 400 déplacés se sont répartis entre Sake, Rutshuru, Lubero, Minova et Bukavu, et sur l’ensemble des déplacés, la plupart n’ont pas accès à l’eau potable : les rares agences humanitaires restées opérationnelles ne parviennent pas à répondre aux besoins de tant de gens dépourvus de tout.
Devant Buhene, faubourg de Goma recouvert de lave pendant la nuit de l’éruption, Judith Kyakimwe-Meso, institutrice de 33 ans, pointe le doigt vers l’emplacement de son école et de sa maison : « Ma maison était sur cette colline, derrière ces arbres qui brûlent, soupire-t-elle en contemplant le paysage calciné et toujours fumant une semaine après l’éruption. Mes enfants et moi, on n’a plus rien, tout a disparu. Nous avons faim et soif, mais où aller sans un sou ? On aurait préféré une mort rapide dans la lave plutôt que cette mort lente. »
Pendant cette crise, les contributeurs de Congo in Conversation ont travaillé en harmonie, échangeant des informations et des conseils de sécurité mais aussi de l’équipement photographique et informatique, tout en couvrant la suite des évènements pour de nombreux médias internationaux et agences humanitaires.
Dans les heures suivant l’éruption, Guerchom Ndebo et Moses Sawasawa ont régulièrement alimenté l’AFP en images, qui ont été publiées dans le monde entier, entre autres par National Geographic, Time Magazine, The New York Times, The Washington Post et Al Jazeera. Le second, qui a aussi travaillé par la suite pour Associated Press, a été engagé par MSF pour documenter les opérations de secours. J’ai moi-même contribué au New York Times.
Au-delà de l’actualité brûlante, Arlette Bashizi et Bernadette Vivuya ont documenté la situation humanitaire pour le compte de l’Unicef, le travail de Ley Uwera a été présenté dans The New Humanitarian, réseau d’informations humanitaires, et celui de Clarice Butsapu par AP.
Cet effort collectif a permis de montrer aux publics du monde entier les évènements liés à l’éruption, le lourd bilan humain qui lui a fait suite et les efforts en cours pour rebâtir une fois encore la ville de Goma.