Bukavu et Kinshasa, le 27 mai 2020
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En RDC, les réglementations rendent le masque obligatoire en public. La population doit également respecter les mesures de distanciation sociale, le lavage de mains avant l’entrée dans la plupart des bâtiments, sans parler des couvre-feux et autres directives énoncées par les autorités locales et provinciales. Les contrevenants sont passibles d’amendes, voire pire.
La police nationale ayant une réputation bien établie d’intimidation, de corruption et d’usage excessif de la force, la plupart des Congolais ne lui font pas confiance. Depuis la mise en place des nouvelles réglementations, des images ont circulé sur Twitter, montrant des violences policières à Kinshasa et Goma. Dans une vidéo datée du 26 mars, on voit Sylvano Kasongo, chef de la police de la capitale, qui semble ordonner à l’un de ses hommes de tabasser un chauffeur de taxi pour avoir violé la règle du passager unique. L’agence Reuters rapporte qu’il leur a envoyé lui-même le document pour intimider les autres chauffeurs, accompagné de cette déclaration : « Les forces de police du Congo respectent les droits humains. »
Partout dans le monde, on commence à s’inquiéter que les forces de police se servent des contrôles de quarantaine pour punir et humilier les citoyens les plus pauvres et les plus vulnérables, en particulier ceux qui risquent de mourir de faim s’ils ne bravent pas le confinement pour trouver du travail. Ainsi, les experts des droits humains à l’ONU ont exhorté les gouvernements à s’assurer que leurs réponses à la pandémie étaient « proportionnées, nécessaires et non discriminatoires ».
Après une période de confusion et une série de faux-pas à l’arrivée du coronavirus en mars à Kinshasa, Human Rights Watch a appelé le gouvernement congolais à mettre en place un plan de communication solide pour gagner la confiance de sa population et mettre rapidement en place des mesures respectueuses des droits. « La survie de millions de personnes en dépend », a déclaré l’ONG internationale.
Depuis lors, les citadins congolais se sont habitués au masque protecteur, et les photos prises à Bukavu et Kinshasa en montrent beaucoup portant leur masque mais aussi d’autres, visage nu, le gardant à portée de main pour ne pas être harcelés ou rackettés par la police. D’autres encore, tel le sapeur Anglebert Maurice Kakuja, ont fait du masque un élément d’élégance vestimentaire, montrant ainsi la grande adaptabilité humaine à toutes les situations.
Les organisations internationales, les gouvernements et les organismes de lutte contre la corruption s’accordent pour considérer que celle-ci est immorale et constitue un obstacle majeur au développement. C’est vrai, bien sûr, mais la corruption n’en est pas moins profondément ancrée dans la vie de nombreux pays, dont la RDC. Selon un rapport du Journal of Contemporary African Studies de 2018, les policiers et les chauffeurs de taxi de Bukavu, par exemple, la considèrent comme une condition nécessaire à la survie. « Pour eux, dans un État dysfonctionnel et failli comme la RDC, la corruption est un système qui apporte la sécurité de l’emploi et un meilleur accès à l’alimentation, aux soins et à l’éducation », écrit l’auteur congolais du rapport, Ali Bitenga Alexandre.
Ainsi, en portant nos masques, nous ne nous adaptons pas seulement à une nouvelle situation sanitaire, nous reconnaissons une réalité de la vie quotidienne au Congo.