Kinshasa et Goma, le 31 juillet 2020
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« C’est une maladie d’Européens, elle n’existe pas au Congo ! » a lancé Pascal Mutemba, marchand de viande de porc, à des membres de Filimbi, un mouvement citoyen pour la démocratie qui menait cette campagne de sensibilisation et distribuait des masques avec le soutien de l’Union européenne.
« Je mène une vie normale, si le coronavirus était réel, on compterait les morts sur ce marché, où les gens s’entassent pour vendre leurs marchandises », clame un autre homme qui travaille comme chauffeur, ajoutant que beaucoup de Congolais utilisent des herbes médicinales pour éloigner la maladie. « Nous sommes immunisés par nos produits traditionnels à base de kongo bololo [vernonie commune], mais aussi par notre consommation de boissons artisanales très fortes en alcool qui interdisent à votre Covid-19 de pénétrer dans nos corps. »
Désinformation et théories du complot autour du coronavirus ne sont certes pas spécifiques à la RDC. Aux États-Unis, la réponse à la pandémie a été rendue particulièrement chaotique par les informations fausses ou trompeuses diffusées par le président Trump lui-même. Des chercheurs travaillant sur cette « infodémie » ont découvert que 71 % des Américains ont été exposés à une théorie largement diffusée selon laquelle des gens très puissants ont planifié l’épidémie de coronavirus. Un quart des adultes y croient, 5 % totalement et 20 % partiellement, selon une étude du Pew Research Center.
À Goma, dans l’est de la RDC, 63 % des 360 personnes interrogées début juillet par l’ONG Support Humanity ont affirmé que la Covid-19 n’existait pas et que la pandémie était une crise fabriquée de toutes pièces par les autorités pour des motifs douteux.
Le doute et la confusion concernant le virus sont particulièrement aigus en RDC, où la défiance envers le gouvernement, l’incompétence et la cupidité des responsables ont retardé la riposte à une épidémie d’Ebola dans les provinces du Nord-Kivu et d’Ituri, qui a tué 2 287 personnes en deux ans avant d’être déclarée éradiquée le mois dernier. Les efforts pour la combattre ont été entravés par des attaques contre des centres de traitement et des personnels sanitaires, par la profonde méfiance envers le pouvoir central en charge de la lutte, et la méfiance plus grande encore envers les experts médicaux internationaux qui aiguillaient les patients vers les centres de traitement. Les habitants ont suspecté les équipes d’intervention, congolaises et étrangères, d’inventer l’épidémie pour en tirer profit comme ils l’avaient prétendument fait avec le « business Ebola ».
De nouvelles accusations apparaissent aujourd’hui, selon lesquelles un même schéma délétère s’appliquerait à une épidémie d’Ebola survenue indépendamment dans la province occidentale d’Équateur, qui a fait au moins 67 malades et 31 morts. Alors que les fonds d’intervention pleuvent sur la région – plus de 34 millions de dollars ont été budgétés jusqu’en septembre – des organisations humanitaires indiquent qu’elles ont subi des « pressions » pour engager des personnes figurant sur une liste approuvée par le gouvernement, où figurent des parlementaires, des fonctionnaires et d’autres personnalités. Les populations étant davantage disposées à faire confiance aux membres de leurs communautés qu’à des politiciens considérés comme profitant des crises sanitaires, de jeunes militants congolais s’emploient à sensibiliser l’opinion et à lui fournir des informations précises sur la pandémie.
« Quand la Covid-19 a commencé, il n’y avait aucune ONG, aucune instance gouvernementale pour en parler à Goma et nous découvrions par la radio et la télévision les ravages que causait l’épidémie dans d’autres pays, alors nous nous sommes dit que nous devions faire quelque chose » témoigne Eugène Maisha Buingo, membre de Goma Actif, collectif indépendant, bénévole, apolitique et laïque composé de jeunes artistes, musiciens, journalistes et citoyens de la plus grande ville de l’est de la RDC.
Les militants de Goma Actif ont rapidement lancé une campagne d’information sur le coronavirus dans six des principaux marchés de la ville, où ils ont expliqué l’importance de la distanciation sociale, de l’hygiène et des gestes barrières pour juguler la contagion. Ils ont aussi distribué 6 000 masques, privilégiant les personnes âgées et vulnérables ainsi que les travailleurs des transports, tout en s’efforçant de clarifier les informations contradictoires qui font obstacle à la lutte mondiale contre le virus.
Des groupes comme Filimbi, Goma Actif ou la Fondation Bahati, une autre organisation de jeunesse, rassemblent de jeunes Congolais éduqués dans des mouvements basés sur le volontariat. En utilisant les réseaux sociaux et en arpentant les rues des quartiers pauvres pour distribuer des informations et des matériels comme des masques, des savons et des désinfectants, ces jeunes s’attaquent à la désinformation autour du virus à la racine, au plus près des gens.
« C’est important pour nous les jeunes d’agir ainsi, assure Michael Kalamo Bauma, photographe et entrepreneur qui a cofondé Goma Actif. La plupart du temps, nous attendons l’aide des ONG ou du gouvernement, mais leurs solutions s’appliquent mal aux vrais problèmes de nos communautés. Connaissant ces communautés, nous trouvons des solutions que nous pouvons contrôler et vérifier avant leur mise en œuvre. Si nous créons un mouvement où les jeunes se parlent entre eux et agissent ensemble, cela pourrait constituer un changement générationnel. »
Malgré la faiblesse de ses infrastructures sanitaires et de l’accès à l’eau et à l’hygiène, la RDC a réussi jusqu’ici à démentir les prédictions désastreuses sur l’impact du virus. À la date du 29 juillet, le pays ne comptait que 8 872 cas confirmés et 207 morts selon l’OMS, mais les mesures d’urgence qui ont fermé les frontières, limité les déplacements et ralenti l’activité économique ont eu un effet dévastateur sur une population qui vit pour l’essentiel avec moins de 2 $ par jour. Selon l’étude de Support Humanity, 46 % des habitants de Goma témoignent d’énormes difficultés pour nourrir leurs proches depuis la mise en œuvre des mesures d’urgence. Imposées le 24 mars, elles ont été levées la semaine dernière, mais beaucoup de Congolais continuent à en souffrir.
« La famine tue plus que le coronavirus », s’indigne Merci Dieu, vendeur sur le marché de Gambela. « Personne ne se préoccupe de trouver un remède contre la faim. Les politiciens congolais cherchent à s’enrichir en siphonnant les fonds de l’Union européenne et l’argent de toutes les organisations supposées nous aider. Nous sommes fatigués de tout ça. Distribuer des masques, ce n’est pas assez et ça n’a aucune importance pour ceux qui n’arrivent pas à mettre un dollar dans leur poche chaque jour. »
Avec le redémarrage des marchés et du commerce, la levée des mesures sanitaires d’urgence va contribuer à réduire les difficultés économiques, mais la même transition a souvent déclenché dans d’autres pays une flambée des infections.
« Il y a encore beaucoup à faire », conclut Maisha Buingo, de Goma Actif. « Nous avons fait notre travail pour protéger la ville et nous allons continuer. Même si ce n’est pas facile, pas question d’arrêter. »